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Depuis 2018, le Nicaragua s’est tourné vers un régime autoritaire en poursuivant son isolement face à la communauté internationale et le monde occidental. Cette tendance s’est accentuée durant l’été 2021 en vue des élections présidentielles d’octobre, remportées haut la main par le président sortant et sa femme, cette dernière étant investie au poste de vice-présidente. Et bien qu’il ait garanti sa mainmise sur le pouvoir, le couple présidentiel a poursuivi l’élaboration de lois liberticides durant l’année 2022 et ne compte pas céder de terrain face aux acteurs de l’opposition.

C’est du déjà vu dans l’histoire de la gauche autoritaire. Un ancien allié proche du pouvoir qui finit par se faire écarter et mettre hors course par ceux qu’il a appuyé au cours de la lutte révolutionnaire. Ce scénario s’est matérialisé mardi 22 novembre 2022, lorsque le régime nicaraguayen a arrêté le sociologue Oscar-René Vargas, ancien conseiller du président Ortega, devenu par la suite l’une des principales voix critiques du pouvoir en place.

En vue des élections de fin d’année 2021, la stratégie politique du président nicaraguayen est simple et prend effet dès le mois de mai de la même année. Deux partis poli-tiques rivaux sont écartés et la dernière formation politique encore en lice pour se mesurer à Daniel Ortega est exclue au début du mois d’août, laissant la voie libre au couple présidentiel pour une réélection aisée. Le parti Citoyens pour la liberté (CxL) se voit retirer sa personnalité juridique par le Conseil suprême électoral (CSE), lui interdisant de ce fait toute représentation et participation politique à l’élection présidentielle du 7 novembre. L’institution électorale justifie sa décision en se basant sur la loi « de défense des droits du peuple à l’indépendance, à l’autonomie et à l’autodétermination pour la paix ». Au début de l’année 2021, cette loi, dont l’interprétation large est évidente, est promulguée en même temps que deux autres textes portant sur la cybersécurité et le blanchiment d’argent. Dès lors, cet ensemble législatif est utilisé par le pouvoir pour enfermer ou assigner à résidence les opposants au régime.

À la fin de l’été 2021, ils sont une quarantaine à subir des actes directs d’intimidation à travers des perquisitions à domicile et des arrestations arbitraires, dans le but de les empêcher de se présenter à l’élection. Parmi eux, septs candidats inscrits sur les listes électorales pour la prochaine échéance présidentielle. En tête de liste, Cristiana Chamorro, fille de l’ex-présidente Violeta Chamorro qui avait battu le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) de Daniel Ortega en 1990 à la tête de l’Union nationale d’opposition (UNO). Depuis le printemps 2021, le gouvernement sandiniste les accuse de blanchiment d’argent ou même de trahison en vertu des lois adoptées au cours des mois précédents. Ce renforcement autoritaire aboutit, au mois de mars 2022, à la condamnation de Christiana Chamorro à huit ans de prison. Le mois suivant, le gouvernement interdit les activités de 25 organisations non gouvernementales, atteignant un total de 87 depuis décembre 2018.

Cette stratégie prouve son efficacité avec des résultats finaux sans appel. Le président sortant obtient 75,92% des voix et le candidat du parti libéral constitutionnaliste (PLC), Walter Martínez, sort du jeu avec seulement 14,4% des votes. Cependant, alors que le Conseil Suprême Électoral estime la participation des électeurs à 65,34%, l’observatoire multidisciplinaire indépendant du pays « Urnas Abiertas », descend ce chiffre à 18,5%.

Le Nicaragua, qui obtient pourtant la réputation d’un pays calme après sa sortie du cycle de la violence des années 1970 et 1980, semble remonter le temps avec un discours anti-impérialiste similaire à celui exploité durant la période sandiniste de la guerre froide. Pour comprendre ce retour en arrière, il est essentiel d’exposer brièvement l’histoire contemporaine du Nicaragua, afin de mieux saisir les enjeux et les positions des différents acteurs.

La révolution et les deux guerres civiles

Ancien révolutionnaire qui contribue à faire tomber la dynastie des Somoza à la fin des années 1970, Daniel Ortega est un des neufs commandants du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) à diriger le triomphe de la révolution durant les deux périodes qui marquent profondément l’histoire contemporaine du Nicaragua. Ces deux étapes se caractérisent par des affrontements particulièrement meurtriers entre les différentes forces armées. La population civile est souvent touchée et soumise à des cruautés dont les séquelles peuvent se faire sentir encore aujourd’hui. D’abord, de 1978 à 1979, la lutte révolutionnaire menée par le FSLN parvient à faire tomber le dictateur Anastasio Somoza Débayle, à l’aide du soutien de la majorité de la population. Le Conseil Supérieur de l’Entreprise Privée (COSEP), les partis conservateurs, libéraux, communistes et autres, assistent satisfaits à la chute de la dictature des Somoza, établie de-puis 1936. De 1982 à 1987, une deuxième guerre civile oppose le nouvel État sandiniste à différentes forces réunies sous l’appellation des Contras, groupes armés anti-révolutionnaires soutenus et financés par les États-Unis. Grâce au sentiment anti-impérialisme légitime, le pouvoir révolutionnaire s’ancre officiellement à travers les élections du 4 novembre 1984 qui permettent à Daniel Ortega d’être élu président, ainsi qu’au Front sandiniste de libération nationale d’obtenir 63% des voix et 61 des 96 sièges de l’Assemblée législative .

L’accord de Sapoa du 23 mars 1988 met finalement un terme à la violence entre les Contras et l’armée sandiniste. Trois ans plus tard, en 1990, les élections générales donnent la victoire à Violeta Chamorro, candidate pour l’Union nationale d’opposition aux dépens du FSLN . Le jeu légal démocratique est alors accepté par les sandinistes et ces derniers quittent le pouvoir sans effusion de sang.

Après les échecs de 1996 et de 2001, c’est finalement en 2007 que Daniel Ortega fait son grand retour sur la scène politique en remportant les élections générales. De-puis, il est difficile de ne pas voir dans les actions du président le noyautage des institutions de l’État à l’aide de ses partisans et même de ses proches .

Vers une dérive autoritaire

Le passage à l’autoritarisme débute en avril 2018, lorsque Daniel Ortega décide d’imposer une réforme visant à augmenter les cotisations et diminuer les retraites, afin de sauver l’Institut Nicaraguayen de Sécurité Sociale (INSS). Le 18 avril, à Managua et à Léon, des membres de la coalition d’opposition du Front Ample pour la Démocratie (FAD), des militantes féministes, des étudiants et des retraités descendent dans la rue pour manifester leur colère. L’écho des manifestations résonne jusque dans certains dé-partements dont Granada, Boaco, Carazo, Estelí. Dans la capitale, les événements prennent une autre tournure, du 19 au 21 avril, lorsque la police utilise la force afin de réprimer les manifestations. Les images de la répression montrant des personnes âgées ensanglantées sont rapidement diffusées dans le reste du pays et provoquent la réaction de la population. Le mouvement universitaire spontané dit « auto-convocados » (auto-convoqués), se forme et élève des barricades dans les rues. Face à une contestation grandissante et à des jeunes nicaraguayens déterminés, les autorités cèdent face à la peur et répondent par la force en tirant à balles réelles dans la foule, procédent à des arrestations d’opposants par dizaines, et contraignent plus de 100 000 Nicaraguayens à l’exil (sur une population de 6,5 millions d’habitants). Selon la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), « dans le contexte des manifestations étudiantes et citoyennes initiées ce jour-là, 328 personnes ont été tuées » .

Soutiens externes et opposition à “l’impérialisme américain”

Dans sa dérive autoritaire, le Nicaragua peut toujours trouver un certain soutien auprès des pays membres de l’Alliance Bolivienne pour les Amériques (ALBA), notamment le Venezuela et Cuba. En dehors du continent, Ortega recherche également du soutien auprès de la Russie et de la Chine, dont l’opposition aux pays occidentaux s’accorde avec Managua. Le rapprochement avec la Chine s’illustre notamment à travers la rupture totale des relations diplomatiques entre Managua et Taïwan, et la reconnaissance nicaraguayenne d’une seule Chine dirigée par Pékin en décembre 2021. Malheureusement pour le régime sandiniste, cette faveur envers la puissance chinoise n’empêche pas Pékin de détourner de plus en plus les yeux du projet de construction du canal passant par le Nicaragua au profit de celui du Panama, qui voit ses relations commerciales avec la Chine s’intensifier .

Quant à la Russie, le gouvernement sandiniste souhaite toujours entretenir des liens privilégiés avec Moscou en raison de leurs relations historiques et de leur opposition aux États-Unis, ainsi qu’au monde occidental dans son ensemble . C’est cette alliance stratégique qui mène le Nicaragua à être un des premiers pays à affirmer la nécessité d’accorder l’indépendance aux deux républiques séparatistes du Donbass afin de résoudre la crise ukrainienne. Cette même alliance, composée de pays dont le dis-cours se base pourtant sur le principe de non-intervention des États, sur le respect de leur intégrité et de leur souveraineté, est légèrement bouleversée au moment de l’invasion russe du 24 février 2022. Depuis l’« opération spéciale » lancée par Vladimir Poutine, Moscou s’efforce de rassurer ses alliés à travers des visites diplomatiques intensives. Cependant, cet acte militaire en violation du droit international, et contraire au principe de non-intervention, a provoqué l’abstention du Nicaragua lors du vote sur la résolution condamnant l’invasion russe à l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 2 mars 2022 .

Le contexte international tendu et les inquiétudes sécuritaires incitent tout de même à l’intensification des échanges entre Moscou et Managua. Plusieurs évolutions récentes témoignent du développement des relations bilatérales entre les deux pays, notamment la signature d’un plan de coopération en matière de cybersécurité au mois de novembre 2022, ainsi que l’autorisation donnée par le président Ortega à son ambassadrice à Moscou pour lancer un accord de coopération et d’assistance en matière douanière .

Sans réel opposant, Daniel Ortega peut désormais exercer son quatrième mandat en toute tranquillité et poursuivre ses objectifs. La réputation du pays auprès des occidentaux continue alors de se dégrader, dans une période de forte instabilité internationale. La situation économique du pays est mauvaise et la majorité de la population vit dans une grande pauvreté. Les représentants du secteur économique restent pour l’ins-tant silencieux et continuent de faire profil bas face au gouvernement, malgré l’appel des opposants. Les sorties de capitaux, les pertes d’emplois et la baisse du tourisme se sont également accentués depuis la crise sociale et politique de 2018. Dans une telle période de crise, les dirigeants ont eu tendance à ancrer leurs positions et à foncer la tête baissée. Le gouvernement nicaraguayen a ainsi fait le choix de se rapprocher des puissances illibérales. En ce sens, de la même façon que son homologue russe, Daniel Ortega rassemble et galvanise les anciennes générations à travers la nostalgie militante de la guerre froide et l’opposition à l’impérialisme nord-américain. Et bien que Managua puisse trouver du soutien auprès de ses alliés politiques régionaux à l’instar de Cuba et du Venezuela, le pays ne devrait pas négliger l’obsession américaine sur son aire d’influence, faute de quoi, un réel retour à la guerre froide impliquerait également celui d’une politique nord-américaine réaliste et offensive, qui serait contre-productive pour le Nicaragua.

 

Bibliographie:

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https://www.despacho505.com/tribunal-de-apelaciones-se-arrepiente-y-rechaza-recurso-de-cxl-contra-el-cse/

https://www.swissinfo.ch/spa/nicaragua-rusia_nicaragua-y-rusia-suscribir%C3%A1n-un-acuerdo-de-cooperaci%C3%B3n-en-materia-aduanera/48131666

https://documents-dds-ny.un.org/doc/UDOC/GEN/N22/293/37/PDF/N2229337.pdf?OpenElement

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