Images : Luisa Baumann
Dimanche 30 juin 2019, dans la zone démilitarisée (DMZ) située sur le 38° parallèle marquant la démarcation entre la République de Corée (Corée du Sud) et la République Populaire Démocratique de Corée (Corée du Nord), l’ancien président des États-Unis D. Trump serrait la main à son homologue nord-coréen, Kim-Jong Un, avant une rencontre commune avec l’ancien président sud-coréen, Moon Jae-In.
Cette rencontre eut lieu au complexe de Panmunjom, à 50 km au nord de Seoul, seul point de contact entre militaires du nord et du sud. Cette tentative de réchauffement des liens entre acteurs de la diplomaties coréennes qui semblait augurer une paix durable sur la Péninsule ne fut qu’un évènement supplémentaire dans la trame historique des relations entre Seoul et Pyongyang. Dans cet article, nous explorerons l’architecture diplomatique mise en place pour prévenir un retour de la guerre, mais également le rôle d’autres Etats, notamment de la Suisse, dans le jeu diplomatique coréen.
Malgré la poignée de main de 2019, les tests de missiles effectués par la Corée du Nord sont de plus en plus nombreux et perçus comme des intimidations par le bloc Seoul-Tokyo-Washington, qui lui se montre toujours plus hostile face aux provocations et aux rodomontades de Pyongyang. Le terreau de ces relations difficiles vient de la guerre de Corée, vieille de plus de 70 ans, mais toujours présente dans l’esprit des coréens, que ce soit dans leurs discours politiques, ou simplement à la vue des signes indiquant la présence d’abris anti-bombardements à l’entrée de chaque bouche de métro à Seoul. Bien que cette guerre fratricide ait été conclue par un armistice le 27 juillet 1953, le conflit est toujours latent et ce malgré les efforts diplomatiques déployés par de nombreuses parties externes, notamment les Nations-Unies, la Suisse et la Suède.
La partition du pays, une réalité récente dans l’histoire coréenne
Avant d’aborder l’architecture diplomatique mise en place pour préserver l’arrêt des combats, abordons brièvement l’histoire de la péninsule ayant menée à cette partition.
La Corée, coincée à l’ouest par la Chine et à l’est par la mer de l’Est et le Japon, a su développer une culture et une histoire propre, malgré les diverses influences de ses voisins. Elle fut cependant colonisée au début du XXe siècle par le Japon impérial, qui maintenu son occupation du territoire jusqu’à sa défaite en 1945. Les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale s’accordèrent sur l’indépendance de la Corée suite aux déclarations du Caire en 1943, puis de Postdam en 1945. Suite au retrait des troupes japonaises, au prétexte de reconstruire l’archipel, Staline et Truman se mirent d’accord pour diviser la péninsule en suivant le 38° parallèle. L’URSS occuperait le nord, les États-Unis le sud. On comprend ainsi mieux d’où proviennent les différences idéologiques entre nord et sud, le premier influencé par le communisme soviétique de l’URSS, et le second par une doctrine capitaliste et libérale propre aux États-Unis.
Face à la division idéologique du pays, entrainant l’impossibilité d’établir un gouvernement représentatif de toute la Corée, les États-Unis, sans l’avis de l’URSS, décidèrent en 1947 de porter le problème devant l’Assemblée générale de la balbutiante ONU. Cette dernière décida d’envoyer une mission pour superviser de nouvelles élections, mais les forces soviétiques leur interdirent l’accès au nord. De ce fait, la Corée du Sud organisa une élection en mai 1948, portant à la tête du pays Syngman Rhee. En réaction, sous l’impulsion de Kim Il-Sung, la Corée du nord organisa également une élection et proclama la République Démocratique Populaire de Corée. Finalement, les États-Unis et l’URSS retirèrent leurs troupes stationnées sur la péninsule en 1949.
Le début des hostilités
Le 25 juin 1950, avec l’accord de Staline et Mao, Kim Il-Sung lança l’invasion du sud de la péninsule avec une force écrasante, au regard des maigres ressources de la Corée du Sud. Cette date marque le début de cette guerre fratricide et reste aujourd’hui encore une profonde cicatrice dans la mémoire Coréenne, établissant la division durable de cette péninsule, unie avant l’immixtion soviétique et américaine. L’Assemblée générale de l’ONU condamna le jour même cette agression et deux jours plus tard, le Conseil de sécurité adopta une résolution déclarant les actions du nord comme une rupture de la paix, recommandant aux membres d’assister le sud. Il est intéressant de s’arrêter ici sur la composition du Conseil de sécurité. En effet, il est évident que l’URSS ou la Chine de Mao, alliés de Kim Il-Sung, auraient mis leur véto sur cette résolution. Cependant, l’URSS à cette époque pratiquait la politique de la chaise vide, et la Chine représentée à l’ONU était la République de Chine, autrement dit, l’actuelle Taiwan.
Pour faire face à l’invasion de la Corée du Sud, l’ONU mit en place le « United Nations Command » (UNC) le 7 juillet 1950, suivant les résolutions 83 et 84 du Conseil de sécurité, en vue de déployer une force de maintien de la paix. Ce fut la première expérience de l’Organisation en termes de sécurité collective. Sous la houlette de l’état-major américain, l’UNC était composé de personnels issus de 22 nations. Après 3 ans de guerre entre l’UNC et la Corée du Nord, aidée et soutenue par la République Populaire de Chine, on dénombra environ 2 millions de pertes militaires et environ le même nombre chez les civils.
La fin du conflit eut lieu avec l’armistice du 27 juillet 1953, signé à Panmunjom, dans ce qui constituera à partir de ce moment-là la zone démilitarisée. Il est à noter qu’aucun traité de paix ne fut signé entre les belligérants. Pour honorer la mémoire des militaires venus combattre sous l’emblème des Nations Unies, il fut convenu d’établir en 1955 le cimetière mémoriel des Nations Unies en Corée (UNMCK), seul cimetière de ce genre, à Busan, grande ville portuaire du sud de la péninsule. Environ 2300 personnes y furent alors enterrées.
Le développement d’une architecture diplomatique
En vue de superviser la bonne mise en œuvre des cessez-le-feu, la Commission d’armistice militaire fut créée en 1953, composée de cinqofficiers nommés par le Commandement des Nations Unies en Corée et de cinq autres nommés par Pyongyang et Pékin. Cette commission avait pour but d’offrir un intermédiaire de négociation en cas de violation de l’accord d’armistice, en plus d’évaluer sa mise en place. La Corée du Nord et la Chine décidèrent cependant de se retirer en 1991, suite à la nomination d’un officier du sud. Avec ce manque de représentativité, l’intérêt de la commission est devenu relatif, même si Pékin et Pyongyang maintiennent toujours une délégation dans la « Joint Security Area », zone sous administration onusienne au sein de la DMZ.
Il existe cependant une autre institution chargée de préserver l’armistice. Il s’agit de la Commission de supervision des Nations neutres (NNSC). Cet organe, également créé en 1953, fut chargé de superviser, observer, inspecter et enquêter sur la bonne mise en œuvre et le respect des dispositions de l’armistice. La composition de la NNSC est intéressante : elle est composée uniquement d’officiers militaires de pays neutres à la guerre de Corée. On y trouvait à l’origine des officiers suisses, suédois, polonais et tchécoslovaques. Les polonais et les tchécoslovaques furent choisis par Pyongyang dans une logique de représentativité du « bloc de l’Est », en tant qu’Etats satellites de l’URSS.
Mais avec la dislocation de cette dernière, la désuétude du pacte de Varsovie, la division de la Tchécoslovaquie en deux Etats et l’intégration dans l’OTAN de la Pologne et de la République tchèque (1999), puis de la Slovaquie (2004), Pyongyang se mit à regarder d’un mauvais œil la composition de la NNSC. La délégation Tchécoslovaque se retira lors de la dislocation du pays en 1993, puis, sur demande de Pyongyang, les Polonais se retirèrent en 1994. Cependant, ces derniers maintiennent toujours un lien avec la NNSC et participent à des réunions, même sans disposer d’une délégation dans la zone démilitarisée. Finalement, il ne reste plus que les délégations suisse et suédoise, en activité permanente sur le terrain. Il s’agit d’ailleurs de la mission de maintien de la paix la plus longue de la Suisse.
Les missions actuelles de la NNSC se bornent à de l’observation et de l’éducation : mission d’observation sur les exercices, activités ou déploiements militaires menés dans la zone ; mission d’éducation au travers de séminaires donnés principalement aux militaires sud-coréens fraichement déployés, ou à du personnel d’autres organisations menant des activités dans la DMZ.
Quel bilan pour ces institutions diplomatiques ?
Impliquée dans un conflit complexe, la question de l’efficacité de la Commission peut être soulevée. Est-ce que 10 officiers neutres peuvent représenter un tampon efficace entre deux nations en conflit depuis 75 ans ? Il est fort peu probable qu’à terme, les efforts suisses et suédois parviennent à produire une paix durable voire une réunification dans la péninsule. Mais le jeu diplomatique ne peut pas reposer sur l’unique espoir d’apporter la paix universelle, il se doit d’être un vecteur de coopération, un intermédiaire offrant des tables de discussions entre États afin que ceux-ci réfléchissent à leurs intérêts communs et n’agissent pas de manière néfaste à l’intérêt collectif global. La NNSC en est un exemple flagrant. La fonction de ses officiers permet aux deux Corées de dialoguer indirectement, d’offrir une certaine transparence dans leurs activités et, éventuellement, d’aider à la reconstruction d’une confiance mutuelle. Mais celle-ci ne se fera que si les principaux intéressés produisent les efforts allant dans ce sens.
Les relations entre les deux Corées ne sont pas faites uniquement d’antagonismes, de nombreux évènements sont également allés dans le sens d’un rapprochement et d’un réchauffement des relations. Citons par exemple le pacte de réconciliation de décembre 1991, suite à leur adhésion respective à l’ONU, ou encore la visite du Président sud-coréen à Pyongyang en 2000. Au paroxysme du symbolique, on a pu voir les équipes olympiques coréennes défiler ensemble sous la bannière d’une péninsule unifiée aux Jeux Olympiques d’été de 2000 et 2004. Malheureusement, chaque effort de rapprochement est contrebalancé par des événements renforçant la méfiance et l’hostilité. Citons par exemple le trivial mais brutal « incident du meurtre à la hache de Panmunjom », où deux soldats américains, stationnés dans la JSA et souhaitant couper un arbre entravant la vue vers le poste de contrôle de la Corée du Nord, furent abattus par des militaires nord-coréens en 1976.
Aujourd’hui, les déclarations hostiles du leader de Pyongyang se font de plus en plus récurrentes. Ces évènements, marquant une évolution en dents de scie dans l’histoire des relations entre Corée du Nord et Corée du Sud, permettent également d’entrevoir la complexité du jeu diplomatique, dans lequel deux petites délégations suisse et suédoise tentent de peser, pour ne pas exposer la Péninsule, “Pays du matin calme”, au ressurgissement d’un nouveau conflit fratricide
Sources :
https://www.unmck.or.kr/eng/03_war/?mcode=0503010100
https://www.unc.mil/History/1950-1953-Korean-War-Active-Conflict/
https://www.unc.mil/Organization/Contributors/Sweden/
https://www.vtg.admin.ch/en/news/einsaetze-und-operationen/militaerische-friedensfoerderung/missionen/nnsc.html#ui-collapse-618
https://www.bbc.com/news/world-asia-49394758
Goodrich, L. M. (1953). The United Nations and the Korean War : A Case Study. Proceedings of the Academy of Political Science, 25(2), 90. https://doi.org/10.2307/1173269
Lowell, P. (1885) Chosön, the land of the morning calm ; a sketch of Korea. [Boston, Ticknor and company, 1885] [Pdf] Retrieved from the Library of Congress, https://www.loc.gov/item/04016695/.