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Englobant 40% de la population mondiale, représentant les économies émergentes et dotés d’un projet d’expansion qui pourrait inclure jusqu’à 40 nouveaux pays, les BRICS comptent désormais parmi les acteurs majeurs de la scène politique internationale. De la volonté de s’affranchir du Dollar américain à celle de s’imposer sur la scène internationale comme une puissance à part entière, les motivations qui ont conduit cette organisation à occuper une place aussi importante sur l’échiquier mondial sont multiples. L’extension des BRICS, en vigueur depuis le 1er janvier 2024, suscite des inquiétudes en Occident mais, plus intéressant encore, des désaccords dans le groupe lui-même.

De la phase embryonnaire… à aujourd’hui

L’acronyme BRIC a été conçu par l’économiste britannique Jim O’Neill en 2001. Initialement la coordination diplomatique informelle des BRIC ne reliait que le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. À la suite de la formalisation officielle de l’organisation en 2006, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, le premier sommet organisé dans la ville russe d’Ekaterinbourg en 2009 a fixé comme objectif principal l’établissement d’un nouvel ordre mondial  »plus juste et plus multipolaire ». Il faudra attendre décembre 2010 pour voir l’Afrique du Sud rejoindre elle aussi l’organisation. Suite à cette extension, les BRICS ont considérablement accru leur influence politique et économique sur la scène internationale, jusqu’à représenter en 2014 plus de 40 % de la population mondiale et 22% de l’économie globale. Cette même année, les BRICS fondent à Shanghaï la Nouvelle Banque de développement, axée sur la mise en place d’un réseau de coopération financière entre pays émergents.

Aujourd’hui le groupe se trouve sous les projecteurs, en particulier pour sa position contre l’hégémonie du Dollar américain comme monnaie d’échange de référence dans les transactions internationales, affirmant sa volonté d’établir une alternative aux institutions issues de Bretton Woods.

Structure et modus operandi 

La coordination diplomatique entre les membres, sujette à des changements notables au fil des années, a finalement donné naissance à une structure solide, permettant au groupe de s’affirmer sur la scène internationale. La coopération entre les membres est dictée par trois piliers fondamentaux : politique et sécurité ; finance et économie ; ainsi que la culture.

Les BRICS sont dépourvus de secrétariat, mais disposent d’une présidence tournante représentée par les États membres, à tour de rôle dans l’ordre de l’acronyme. Cette présidence permet à la coordination d’établir des objectifs annuels et de planifier l’organisation des sommets, en coopérant avec les autres membres. Les BRICS disposent également de nombreux organes visant à favoriser la coopération économique et financière, tels que la Nouvelle Banque de Développement ou le Business Council.

Il convient également de souligner la participation active des pays membres au sein de nombreuses organisations internationales et régionales, telles que les Nations Unies, le G20, l’OMC, le Non-Aligned Movement, le Group of 77, le SADC ou encore le MERCOSUR. Ce phénomène souligne le désir des BRICS d’acquérir un rôle croissant sur la scène internationale et de contribuer à la construction d’une nouvelle gouvernance mondiale, dans laquelle leurs rôles, leurs voix, seraient proportionnels à leur croissance économique significative. Par conséquent, la plateforme est motivée par le désir de modeler l’ordre international, considéré comme déséquilibré par les économies émergentes.

Vers une dé-dollarisation ?

Parmi ses objectifs fixés qui ont le plus secoué l’opinion publique figure l’abandon progressif du Dollar américain comme monnaie d’échange entre les membres du groupe. Le sujet était au coeur des discussions lors du dernier sommet des BRICS, qui s’est tenu du 22 au 24 août 2023 à Johannesburg, en Afrique du Sud. Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva s’est montré favorable à l’initiative, en déclarant qu’une monnaie d’échange commune pour les membres permettrait d’augmenter leurs options de paiement et de réduire leurs vulnérabilités.

La mise en œuvre de cette transition présenterait toutefois un certain nombre d’obstacles, notamment du point de vue technique, comme déclaré par Lesetja Kganyago, gouverneur de la South Africa Reserve Bank : « si vous le souhaitez, vous devrez obtenir une union bancaire, vous devrez obtenir une union fiscale, vous devrez obtenir une convergence macroéconomique ».

Mais ce n’est pas tout. En effet, tous les États des BRICS entretiennent des relations commerciales étroites avec la Chine, mais commerçent en revanche relativement peu entre eux. Deuxièmement, le Dollar conserve aujourd’hui une position hégémonique dans le commerce international, en représentant environ 90% des transactions mondiales, selon les données rapportées par la Bank of International Settlements – même s’il est important de souligner que depuis quelques années la monnaie américaine s’est affaiblie de manière considérable dans les réserves de change. Troisièmement, un potentiel abandon du dollar américain nécessiterait qu’un nombre considérable d’exportateurs, importateurs, emprunteurs, prêteurs, opérant dans le marché global, décident de manière indépendante de mettre en œuvre la transition vers l’utilisation d’une autre monnaie. C’est pourquoi, l’abandon progressif du dollar américain de la part des membres de la coordination diplomatique ne constituerait pas, à l’heure actuelle et pour les dix prochaines années, une menace à l’hégémonie américaine dans la sphère politico-économique internationale.

Selon Camille Marcaire, chercheuse associée au CEPII (Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales, rattaché au cabinet du Premier Ministre français), ce qui est remis en cause par les BRICS est le rôle du Dollar en tant que monnaie hégémonique, et non pas son utilité. En d’autres termes, si le XXe siècle a consacré le passage de l’hégémonie de la Livre sterling à celle du Dollar, aujourd’hui la transition consisterait plutôt d’un passage du monopole de la devise américaine, à la concurrence de plusieurs monnaies. La chercheuse affirme en outre que l’imposition du yuan chinois -considéré comme la seule monnaie de réserve non-occidentale- sur la sphère économique internationale n’est pas une possibilité envisageable à l’heure actuelle. Le yuan est une monnaie dont la fluctuation est limitée à 2,6 %, c’est-à-dire qu’elle ne peut être réévaluée ou dévaluée au-delà de ce pourcentage, car elle dépend d’autres monnaies telles que l’Euro et le Dollar, afin d’éviter des dangers tels que l’inflation. Elle ne peut donc pas être une monnaie de réserve, car cela impliquerait que d’autres pays puissent l’acheter, ce qui n’est pas possible car il existerait alors un risque de dévaluation considérable. La Chine, elle, en revanche, possède encore d’importantes réserves en Dollar.

Nouvelles adhésions et… nouvelles rivalités ?

Cependant, les objectifs ambitieux des BRICS ne se limitent pas à la volonté de limiter progressivement l’utilisation du Dollar. En effet lors de leur quinzième sommet en Afrique du Sud, datant d’août dernier, le groupe a décidé d’admettre six autres pays au sein de la structure : l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Argentine (qui ne rejoindra finalement pas le groupe, suite à l’élection de Javier Milei) et les Émirats arabes unis. À travers cet élargissement, le but est d’accroitre leur influence sur la scène internationale, ainsi que de se présenter comme une alternative viable à la gouvernance mondiale, dominée par l’hégémonie américaine et incarnée par le Dollar. Le nombre considérable de pays qui ont manifesté leur intérêt démontre le succès que les BRICS sont en train de remporter, en particulier auprès des économies émergentes du Golfe ou d’Amérique Latine, ce qui pourrait conduire à un nouvel ordre multipolaire dans un avenir proche, au détriment de la domination américaine actuelle.


Mais, au-delà de l’engouement suscité par un tel projet, que signifie concrètement l’expansion des BRICS ?

Sanusha Naidu, chercheuse principale à l’Institute for Global Dialogue, a de son côté déclaré que l’adhésion des pays mentionnés pourrait donner lieu à une version « très centrée sur le Moyen-Orient » du groupe, ce qui pourrait mener, selon d’autres experts, à davantage de tensions parmi les membres. Cela pourrait notamment avoir des implications géopolitiques considérables, conduisant certains pays membres à se concentrer davantage sur les politiques liées au Moyen-Orient. En outre, toujours selon Naidu, les motifs qui sous-tendent ces adhésions pourraient être, de nature énergétique. À l’exception de la Russie, aucun des membres actuels des BRICS n’est producteur d’énergie. Ces derniers sont motivés par le désir de disposer d’économies efficaces, sans se heurter aux problèmes liés aux sanctions économiques imposées à la Russie. Un élargissement de la plateforme – puisque en particulier l’Arabie saoudite, l’Iran et les Emirats arabes unis sont des importants producteurs d’énergie – impliquerait donc l’émancipation des économies émergentes de l’Occident, ainsi que davantage de coopération avec l’OPEC+.

L’expansion des BRICS est définie par le président chinois Xi Jinping comme un évènement « historique » ainsi que la démonstration « de la détermination des pays [membres] à s’unir et à coopérer avec les pays en développement plus largement ». Cette expansion pourrait toutefois accroître les divergences parmi les membres du bloc.

Selon Jefferson Ng, chercheur associé du programme Indonésie, S. Rajaratnam School of International Studies (Singapour), les nouvelles adhésions mettront à l’épreuve la cohésion des BRICS. Ng affirme que l’élargissement du groupe pourrait s’avérer être « une épée à double tranchant » : le regroupement d’États partenaires des États-Unis, tels que l’Arabie saoudite et les EAU, avec des pays où l’hostilité à la superpuissance américaine est structurelle, tels que l’Iran ou la Russie, pourrait mener à des impasses dans leur coopération. Les BRICS pourraient donc être contraints de clarifier leur position : se présenter comme un groupe informel visant uniquement à promouvoir les intérêts des économies émergentes, constituant un ordre international alternatif, ou adopter une position plus claire et plus « explicite » contre l’Occident, comme le souhaitent le plus la Chine et la Russie.

Lia Valls Pereira, chercheuse associée à la Fondation Getulio Vargas, partage cet avis. Elle explique que l’inclusion de pays ayant explicitement adopté des positions « anti-occidentales » au fil du temps pourrait poser un problème, en particulier pour le Brésil et ses relations avec la Chine et la Russie. Le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud devront, non sans difficulté, veiller à ce que l’objectif des BRICS ne devienne pas uniquement la défense des intérêts géopolitiques de la Russie et de la Chine, privilégiant plutôt les objectifs communs des économies émergentes, notamment la coopération en matière de transition énergétique et la réforme du Conseil de sécurité des Nations-Unies, pour en citer quelques-uns.

Comme le soulignent Steven Gruzd et Gustavo de Carvalho, si l’extension de la plateforme peut conférer une plus grande légitimité et un plus grand espace aux économies émergentes sur la scène internationale, elle pourrait également entraîner des problèmes de consensus. Les tensions entre les futurs membres des BRICS+ sont en effet multiples : les divergences entre l’Égypte et l’Éthiopie sur le contrôle et la gestion du Nil persistent, et les tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran pour la domination de la région du Moyen-Orient ne sont pas moins significatives. Par conséquent, malgré les avantages indéniables qui pourraient découler de cette adhésion – notamment en termes de légitimité, de crédibilité et de rôle croissant sur la scène internationale – de nombreux analystes restent sceptiques à ce jour, soulignant les principales sources d’inquiétudes liées à l’élargissement de la plateforme.

En définitive, l’influence des BRICS sur la scène internationale s’accroît. La volonté de constituer une alternative aux institutions de Bretton Woods et à l’hégémonie américaine – incarnée par le Dollar – a créé des divergences : entre les fervents partisans de cette initiative et ceux qui, à l’inverse, voient dans la plateforme et ses objectifs une menace directe à leurs intérêts.
Les nouvelles adhésions, en vigueur depuis le 1er janvier 2024, ne sont que la preuve de l’influence croissante des BRICS sur le plan international et de la popularité acquise ces dernières années au près des économies émergentes. Une expansion qui pourrait effectivement conférer une plus grande légitimité à ces pays – en contribuant à l’établissement d’un nouvel ordre multipolaire – mais qui pourrait aussi s’avérer contre-productive. De nombreux experts et chercheurs ont en effet exprimé leurs préoccupations en matière de cohésion du groupe, soulignant que les différents intérêts entre ces pays pourraient effectivement poser un problème pour leur coopération et, par conséquent, pour l’équilibre et l’efficacité des BRICS.

Sources:

Image : Wikimedia Commons

https://guides.loc.gov/brics#:~:text=%22BRICS%22%20is%20the%20acronym%20denoting,Economics%20Paper%20No%3A%2066) (27.11.2023)

https://www.treccani.it/enciclopedia/brics_%28Enciclopedia-Italiana%29/
(27.11.2023)

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/bric (27.11.2023)

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https://brics2023.gov.za/brics-architecture/ (29.11.2023)

https://brics2023.gov.za/three-pillars-of-cooperation/ 29.11.2023)

https://www.reuters.com/markets/currencies/what-is-brics-currency-could-one-be-adopted-2023-08-23/ (29.11.2023)

https://www.cambridge.org/core/elements/can-brics-dedollarize-the-global-financial-system/0AEF98D2F232072409E9556620AE09B0 (29.11.2023)

https://www.lepoint.fr/economie/monnaie-commune-des-brics-la-fin-du-roi-dollar-23-08-2023-2532512_28.php#11 (30.11.2023)

https://www.aljazeera.com/news/2023/8/24/analysis-wall-of-brics-the-significance-of-adding-six-new-members (30.11.2023)

https://www.reuters.com/world/brics-poised-invite-new-members-join-bloc-sources-2023-08-24/ (30.11.2023)

https://www.cfr.org/councilofcouncils/global-memos/brics-summit-2023-seeking-alternate-world-order (17.12.2023)

https://oilprice.com/Energy/Crude-Oil/New-BRICS-Members-Boost-Blocs-Global-Energy-Influence.html (17.12.2023).

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