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Images : compte Twitter officiel d’Emmanuel Macron (voir les Tweets intégrés à l’article)

Voilà quelques semaines déjà que s’est tenu à Prague, en République tchèque, le premier sommet de la toute nouvelle Communauté Politique Européenne (CPE). Produit des voeux formulés par Emmanuel Macron lors du Sommet Européen de Strasbourg en Mai 2022, la CPE marque une innovation politique sur le plan européen, tant par sa forme organisationnelle que par la diversité des pays qui y sont représentés. Toutefois, plusieurs acteurs diplomatiques ont émis de vives interrogations quant à son utilité, ses objectifs ainsi que son avenir. S’agit-il d’une simple couche supplémentaire rajoutée à l’indigeste mille-feuille institutionnel européen, ou bien la CPE peut-elle réellement instituer un nouvel espace de discussion stratégique capable d’apporter de nouvelles solutions?

 

Produit d’un développement européen sur le temps long

L’idée d’une « communauté politique européenne » n’est pas nouvelle. Comme l’a lui-même souligné Emmanuel Macron, « c’est une très vieille idée qui est peut-être en train de devenir réalité ». En effet, dans les premiers temps de la construction européenne, le terme de « communauté politique » était déjà utilisé dans une perspective intégrationniste, fortement marquée par l’approche supra-nationale.

En 1952, en lien avec l’institution de la Communauté de Défense Européenne (CED), les pionniers Schuman et De Gasperi invitaient l’Assemblée de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) à élaborer un traité instituant une nouvelle « autorité politique européenne ». Celle-ci devait prendre l’aspect d’une communauté politique dotée de compétences élargies, notamment sur les questions de politique extérieure, et avait pour objectif le renforcement de l’intégration politique européenne. Mais si le développement communautaire connaît un temps d’arrêt avec l’échec de la ratification de la CED, l’idée d’une communauté européenne qui permettrait la collaboration et l’harmonisation des politiques extérieures réapparaît périodiquement au cours des années 60 et 70. Elle évolue dans une perspective inter-gouvernementale, désormais plus soucieuse de la préservation des prérogatives liées à la souveraineté nationale des pays membres.

Le dernier projet en date fût celui de la Confédération Européenne, développé par François Mitterrand et dont les assises eurent lieu à Prague, en 1991. L’ancien président français défendait alors la création d’une nouvelle structure susceptible d’accueillir les États d’Europe orientale, récemment libérés du joug soviétique. Reçu par un fort scepticisme, ce projet fût perçu par beaucoup comme la volonté de création d’une « anti-chambre » européenne où resteraient bloqués les pays de l’espace post-soviétique.

Aujourd’hui, la CPE mise en place par Emmanuel Macron s’inscrit dans un contexte de déstabilisation du continent européen, provoqué par la Guerre en Ukraine. Aux divisions latentes, la CPE entend répondre par un renforcement du dialogue et un élargissement de la coopération internationale avec les pays européens et pan-européens non membres de l’UE. Lors de son « Serment de Strasbourg », le 9 mai dernier, le chef d’état français définissait son projet ainsi : « Cette nouvelle organisation européenne permettrait aux nations européennes démocratiques qui adhèrent à nos valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération énergétique, de coopération dans les transports, d’investir dans des infrastructures où les gens pourraient circuler, notamment les jeunes »

Une description assez vague donc, qui incite à s’intéresser de plus près à la mise en pratique de la Communauté Politique Européenne lors de son premier Sommet.

 

Une architecture organisationnelle novatrice

Ce ne sont pas moins de 44 pays qui étaient représentés à Prague le 6 octobre dernier. Parmi eux on retrouvait en premier lieu les 27 pays de l’Union, les pays européens non-membres de l’UE, comme l’Islande ou la Norvège, mais également de nombreux pays en voie d’intégration comme ceux des Balkans (Serbie; Albanie; Monténégro; Kosovo; Bosnie-Herzégovine; Macédoine du Nord), ceux d’Europe orientale (Moldavie; Ukraine) ainsi que trois pays pan-européens : la Turquie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Par ailleurs l’Union Européenne était, en tant qu’organisatrice de l’évènement, représentée par Ursula Von der Leyen et Charles Michel, respectivement président.e.s de la Commission et du Conseil. Organisé sur une journée, le premier Sommet de la CPE a mis en place une architecture organisationnelle assez novatrice pour ce genre de rendez-vous diplomatique. Compte tenu du nombre élevé de participants, il aurait été peu productif d’organiser une discussion commune avec des prises de paroles à tour de rôle. Aussi, au-delà des sessions plénières traditionnelles d’ouverture et de cloture, les échanges ont été répartis à travers 4 groupes de travail au sein desquels les dirigeants ont pu successivement aborder différentes thématiques telles que l’énergie, la cybersécurité, les migrations ou encore la jeunesse. Le choix d’un tel format a permis d’apporter plus de dynamisme et de fluidité dans les échanges. Enfin, plusieurs discussions bilatérales confidentielles ont été organisées en marge de ces groupes de réflexion, parmi lesquelles une rencontre symbolique entre le Premier ministre Arménien, Nikol Pachinian et le président Azerbaïdjanais, Ilham Aliev. Supervisée par Emmanuel Macron et Charles Michel, cette discussion aura abouti à un accord sur l’envoie d’une mission civile européenne «pour aider à la délimitation des frontières et relancer le processus de normalisation». Un résultat bien maigre certes, mais un premier pas tout de même.

 

Fait marquant, la session plénière de cloture n’aura été marqué ni par des résolutions, ni par un communiqué final. Preuve, probablement, que la nouvelle CPE s’apparente davantage à un Forum de discussions plutôt qu’à une nouvelle organisation politique européenne. Pourtant, une telle structure aurait bien besoin de résultats rapides pour asseoir sa légitimité dans les échanges diplomatiques continentaux. Et pour cause, la CPE, tout comme le projet mitterrandien de 1991, fait l’objet de réticences de part et d’autres du continent.

 

Regards de l’Est : une salle d’attente européenne plus « confortable » ?

À l’Est de l’Europe, les premières réticences ont été émises par les pays des Balkans. Quelques semaines auparavant les dirigeants Albanais, Macédoniens et Kosovars avaient manifesté leur colère et leur humiliation en claquant la porte du Conseil Européen de juin, suite à l’octroi du statut de candidat à la Moldavie et l’Ukraine. En effet, plusieurs pays de cette zone attendent leur adhésion depuis de nombreuses années déjà. Bien qu’Angela Merkel ait initié le Processus de Berlin en 2014, dans l’optique de redonner une perspective d’avenir européenne à ces pays, les dernières années ont été marquées par un immobilisme patent du processus d’intégration. Malgré le mécontentement manifeste de leurs représentants, les pays des Balkans ont toutefois répondu présent à Prague le 6 octobre, tout en manifestant leur suspicion quant à ce qui pourrait faire office de confortable salle d’attente de l’Union.

Une crainte partagée par les pays membres du partenariat oriental de l’Union Européenne, au premier rang desquels l’Ukraine, pour qui le processus d’adhésion revêt dans le contexte actuel une importance toute particulière. Quelques jours après l’annonce faite par Emmanuel Macron en mai, le ministre ukrainien des affaires étrangères avait ainsi affirmé « qu’aucune alternative à l’intégration européenne […] ne saurait être acceptable ». Après s’être vu octroyer le statut de candidat au mois de juin, les représentants ukrainiens auront néanmoins pu tirer satisfaction du Sommet de Prague, à travers la condamnation unanime de l’agression russe.

 

Regards de l’Ouest : une communauté artificielle à l’avenir bloqué?

Du côté des membres de l’Union également, plusieurs réserves ont été émises quant à la pertinence et à l’avenir de la CPE. Tout d’abord, c’est la compatibilité géographique et politique des états représentés qui a suscité des interrogations dans les milieux diplomatiques. En réunissant des pays aux antagonismes profonds (la Serbie et le Kosovo, mais aussi l’Arménie et l’Azerbaïdjan), et des pays aux relations bilatérales délicates (notamment la France et la Turquie), l’existence politique de la CPE semble reposer sur des relations fébriles. La question se pose, en effet, de savoir sur quelle base géographique et politique peut-être fondée une telle « communauté ». Alors que ce terme renvoie inévitablement à des valeurs et des intérêts partagés, la diversité des pays membres semble remettre en question le bien-fondé d’une telle démarche. Par ailleurs, les représentants britanniques auraient, selon plusieurs sources, tenté de négocier un changement de nom au profit du terme « Forum » afin de réduire symboliquement l’importance d’un tel Sommet, peu de temps seulement après leur sortie de l’UE. Enfin, la question de la multiplication des organisations à l’échelle européenne, ainsi que de leur coût de fonctionnement, vient rajouter un peu plus au scepticisme de certains dirigeants européens.

 

Conclusion

Pour l’heure, il semble difficile de tirer un bilan du premier sommet de la Communauté Politique Européenne, qui a soulevé plus d’interrogations qu’elle n’en a résolu. En quête de légitimité, les premiers pas de l’organisation devraient s’inspirer des étapes préliminaires de la construction européenne : pour prouver son efficacité, la CPE devra lancer des projets ambitieux et obtenir des résultats concrets sur la base d’engagements communs. Toutefois, le Sommet de Prague aura eu le mérite de voir se réunir l’ensemble des dirigeants européens -dans leur acception la plus large- afin de discuter des problématiques urgentes qui attendent la communauté occidentale. Leur présence peut ainsi être interprétée, à minima, comme preuve d’une volonté d’avancer dans une direction commune. Face à l’entremêlement des crises climatique, énergétique, politique et économique, les mois à venir s’annoncent riches en défis diplomatiques. Le prochain Sommet, qui devrait se tenir en Moldavie au printemps prochain, permettra certainement de mesurer si la CPE est capable de susciter un engagement sur le long terme.

 

Bibliographie :

Assignon, Carole. 06 octobre 2022. « Pourquoi une ‘Communauté Politique Européenne’? ». Deutsche Welle. [En ligne]. Consulté le 5 novembre 2022. Disponible à https://www.dw.com/fr/ue-cpe-emmanuel-macron-ukraine-turquie-pays-des-balkans/a-63359052.

 

Brzozowski, Alexandra. 06 octobre 2022. « ‘European Political Community’ takes shape in face of Russia’s war ». Euractiv. [En ligne]. Consulté le 5 novembre 2022. Disponible à https://www.euractiv.com/section/armenia/news/european-political-community-takes-shape-in-face-of-russias-war/

 

LeHuffPost avec AFP. 07 octobre 2022. «  À Prague, la ‘Communauté Politique Européenne’ chère à Emmanuel Macron est née ». HuffPost. [En ligne] Consulté le 5 novembre 2022. Disponible à https://www.euractiv.com/section/armenia/news/european-political-community-takes-shape-in-face-of-russias-war/

 

Giraud, Jean-Guy. 10 octobre 2022. « La ‘Communauté Politique Européenne’ passera-t-elle l’hiver? ». Les Amis du Traité de Lisbonne. [En ligne]. Consulté le 6 novembre 2022. Disponible à https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/la-communaute-politique-européenne-passera-t-elle-l-hiver

 

Badel, Laurence. 24 mai 2022. « Un projet de “communauté politique européenne” a déjà existé et son histoire est aussi celle d’un échec ». Le Monde. [En ligne]. Consulté le 6 novembre 2022. Disponible à https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/24/un-projet-de-communaute-politique-europeenne-a-deja-existe-et-son-histoire-est-aussi-celle-d-un-echec_6127425_3232.html

 

Čubrilo-Filipović, Milica. 06 octobre 2022. « Balkans occidentaux : qu’attendre de la nouvelle Communauté Politique Européenne? ». Le Courrier des Balkans. [En ligne]. Consulté le 4 novembre 2022. Disponible à https://www.courrierdesbalkans.fr/Qu-attendre-du-premier-sommet-de-la-Communaute-politique-europeenne-a-Prague

 

Ricard, Philippe. 13 mai 2022. « L’Ukraine se méfie du projet de la ‘Communauté Politique Européenne’ ». Le Monde. [En ligne]. Consulté le 6 novembre 2022. Disponible à https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/13/l-ukraine-se-mefie-du-projet-de-la-communaute-politique-europeenne_6125943_3210.html

 

Agence Belga. 07 octobre 2022. « Communauté politique européenne – La Moldavie accueillera la prochaine réunion de la CPE ». RTL Info. [En ligne]. Consulté le 7 novembre 2022. Disponible à https://www.rtl.be/info/monde/europe/communaute-politique-europeenne-la-moldavie-accueillera-la-prochaine-reunion-de-la-cpe-1407061.aspx

 

Sources images :

Compte Twitter officiel d’Emmanuel Macron

https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1578063744667639808?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1578063744667639808%7Ctwgr%5Ea086189b7dab8c156679c8de591d5a82837f19de%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.huffingtonpost.fr%2Finternational%2Farticle%2Fa-prague-la-communaute-politique-europeenne-chere-a-emmanuel-macron-est-nee_208668.html

Compte Twitter officiel d’Emmanuel Macron

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