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Avec un chiffre d’affaires annuel compris entre 426 et 652 milliards de dollars et plus d’un quart de milliard de clients, il s’agit de l’une des industries les plus lucratives et les plus résilientes au monde : celle du marché noir de la drogue, une activité aux racines historiques profondes qui, aujourd’hui plus que jamais, est objet d’un intense débat public. Une industrie qui, au fil du temps s’est révélée capable de s’adapter à de multiples contextes socio-politiques (et historiques) en dépit des adversités.

Ses origines remontent en effet à beaucoup plus loin qu’on ne pourrait le croire : dès l’Antiquité, selon le politologue Renzo Paternoster, il était d’usage de consommer des drogues. Il s’agit d’une période historique au cours de laquelle la consommation de ces substances n’était toutefois pas en contradiction avec la morale, constituant même l’un des piliers de la relation entre les dieux et ceux qui en consommaient pour s’en approcher. Les cas le plus exemplaires, qui illustrent le mieux cet état de fait sont celui du peyotl (« pain des dieux ») dans l’actuel Mexique ou du cannabis sativa en Orient.

Prohibitionnisme et crime organisé : les premiers pas d’un phénomène global

Les premières formes de prohibition et de répression des drogues remontent au Moyen Âge, une période historique profondément marquée par la morale et la doctrine religieuse – surtout en Europe, de par les dérives de l’Église catholique – et un changement de paradigme conséquent en ce qui concerne les drogues. Mais ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que l’on assiste à une augmentation exponentielle de la consommation et, par conséquent, de la taille du marché des substances narcotiques : de la morphine à la cocaïne en passant par le Laudanum – une substance à base d’alcool et d’opium -, qui sont principalement utilisées dans le domaine médical. Au cours de cette période, les drogues sont également devenues un véritable vecteur de conflit avec les guerres de l’opium, qui ont opposé le Royaume-Uni et la Chine de la dynastie Qing et ont eu des conséquences socio-économiques dévastatrices sur cette dernière, entraînant l’ingérence croissante de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis en Chine.

Au début du siècle dernier, bien que ces substances puissent être obtenues relativement facilement en pharmacie, le phénomène de la consommation de drogues et de son marché sont restées peu étudiées et en marge de tout intérêt autant public que scientifique, n’attirant que peu d’attention. Néanmoins, l’augmentation persistante de la consommation de substances altérantes a déclenché une série de mouvements de protestation et, dans les années folles, les États-Unis d’Amérique ont adopté la première véritable législation de prohibition, qui prévoyait l’interdiction de la vente, de l’importation et du transport de l’alcool et qui, quelques années plus tard, a été étendue aux opiacés, au cannabis, à la cocaïne et à l’héroïne. Et si la répression des stupéfiants visait à éliminer définitivement les drogues et l’alcool de la société américaine, cette législation a été le premier pas vers l’essor de la criminalité organisée et des marchés de la drogue, notamment en milieu urbain.

Lorsque le marché traditionnel n’a plus eu les moyens légaux de fournir ces substances, les mafias se sont chargées de combler ce vide. Les principaux protagonistes de ce phénomène ont été les grands centres urbains – grâce à la grande concentration d’individus et à la plus grande fragmentation socio-économique –, au sein l’offre et la demande augmentaient. Le krach boursier de Wallstreet en 1929, qui a conduit à la fameuse crise des années 1930, n’a fait que contribuer à l’augmentation de la taille du marché noir des drogues, notamment aux États-Unis, en Europe occidentale et en Amérique du Sud. Dans un contexte marqué par l’accroissement de la grande pauvreté, où les licenciements étaient devenus monnaie courante, le malaise économique s’est rapidement transformé en malaise social, qui a profondément marqué la société, notamment en Occident. Il en a résulté une augmentation de la consommation de drogues et, par conséquent, la montée en puissance de la mafia américaine aux États-Unis qui, pendant la Prohibition et après la crise de 1929, a tiré d’importants profits de la vente de substances illicites. En particulier, la plus grande partie de l’alcool importé illégalement aux États-Unis durant cette période provenait du Canada et des Caraïbes, sans parler du Midwest américain, où les ancres produisaient encore de l’alcool illégalement. Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la drogue a pris une toute autre signification : les amphétamines, en particulier, ont été diffusées et distribuées, en toute légalité, en grandes quantités aux soldats des armées afin de lutter contre la fatigue et d’assurer une performance physique plus longue et plus forte. Elles étaient également utilisées, toujours dans le domaine militaire, pour améliorer l’humeur des troupes belligérantes, en particulier celles de l’Axe. Ainsi, à mesure que les gouvernements renforçaient leur contrôle sur les substances – en particulier les amphétamines – la taille du marché noir diminuait par rapport aux périodes antérieures, avec une résurgence après la fin du conflit, en particulier depuis les années 1960.

Les années 1960 ont été une période très curieuse et unique dans l’histoire : avec l’explosion du mouvement soixante-huitards, dans les usines, les universités, les écoles et les rues, les changements socioculturels qui se sont produits au cours de cette période ont été remarquables. Les mouvements de protestation visaient à changer radicalement les valeurs traditionnelles, pour faire place à un contexte institutionnel différent. La première vague de protestations a eu lieu aux États-Unis, en particulier dans les campus univesitaires, afin d’éradiquer de la société la discrimination raciale à l’encontre des Afro-Américains et de lutter contre l’impérialisme de la guerre du Viêtnam. En Europe, c’est la France qui a ouvert le bal. Le mécontentement dans le pays s’est révélé particulièrement fort, notamment contre le gaullisme, le chômage et le traitement des immigrés, mais pas autant qu’aux États-Unis. Et si de telles rébellions dans les deux pays ont été rapidement étouffées dans l’œuf, le sort de l’Italie a été différent. Certains groupes italiens, issus – eux aussi – du mouvement soixante-huitard, se sont transformés en mouvements qui ont très tôt utilisé la violence comme arme de prédilection pour renverser le système. Parmi eux, on trouve le cas exemplaire des célèbres Brigades rouges. Néanmoins, 1968 a conduit à une augmentation de la protection des droits civils et humains, ainsi qu’à une nouvelle conscience écologiste et pacifiste. Et dans un contexte aussi particulier et dynamique, le marché noir de la drogue a également connu une évolution non négligeable. Au cours de cette période, les drogues récréatives ont connu une croissance importante ; une augmentation de la demande qui, cependant, a été principalement satisfaite par le marché noir, dont la taille a considérablement augmenté. Si les drogues sont mieux acceptées dans les contextes sociaux et que la morale évolue à cet égard, il n’en va pas de même pour les institutions et les administrations publiques, qui maintiennent leurs positions prohibitionnistes en matière de drogues, ce qui entraîne un recours accru au marché noir et donc, dans de nombreux cas, aux mafias. Cette tendance s’est poursuivie jusque dans les années 1980, lorsque des drogues telles que la MDMA ont atteint le sommet de leur popularité.

Le contrôle de la drogue, un problème global ?

Comme l’indique un rapport des Nations unies : « Au début du XXe siècle, le marché mondial de la drogue est devenu un problème mondial, nécessitant des solutions mondiales ». Les problèmes liés à la vente et à la consommation devenant de plus en plus évidents, les premières véritables conférences sur les stupéfiants ont été organisées au début du siècle, comme à Shanghai, en 1909, où la première conférence sur les stupéfiants a été organisée et a abouti en 1912 à la première convention internationale de l’opium, à La Haye. L’objectif de cette première conférence était de lutter contre l’épidémie d’opium, qui se développait avec des conséquences dévastatrices : au début du XXe siècle, des dizaines de millions de Chinois étaient dépendants de l’opium. Des années après la défaite de la Chine, dans le cadre des guerres de l’opium du XIXe siècle, le pays a été contraint de légaliser la substance et a commencé à la cultiver. On a ainsi constaté qu’au début du XXe siècle, 14 % des revenus du pays provenaient de l’opium.

Au cours des cinquante années qui ont suivi, de multiples mécanismes ont été mis en place afin d’instaurer un système multilatéral de contrôle de la production, du trafic et de l’abus de drogues. Cela s’est traduit par l’adoption, entre les années 1960 et la fin des années 1980, de nouvelles conventions des Nations unies, dont l’adhésion est aujourd’hui pratiquement mondiale.
Selon l’ONU, ces mesures, tant pratiques que législatives, ont permis d’atteindre, bien que de manière partielle, les objectifs préétablis et mentionnés ci-dessus : la consommation de substances illicites a été contenue de 5 % et, par conséquent, les décès dus à ces substances sont désormais limités à environ 200 000 par an (soit 1/10e de ceux causés par la consommation d’alcool et 20 fois moins que ceux causés par le tabagisme). Selon les Nations Unies, pour maintenir un tel résultat, il est nécessaire de réduire la vulnérabilité des individus et de la communauté aux drogues et à la criminalité qui en découle, en renforçant les services sociaux et sanitaires, le traitement et la prévention.

Aujourd’hui, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la consommation de drogue peut être un problème et un défi mondial ; un fléau qui est cependant plus ressenti par les personnes vulnérables et en difficultés socio-économiques. En outre, certaines zones géographiques seraient plus touchées que d’autres : selon le rapport, les pays qui souffrent le plus des implications négatives de la consommation, de la vente et du trafic de drogues illicites sont ceux du Sud. Cependant, l’Occident ne serait pas non plus épargné : selon le degré de vulnérabilité d’une communauté, d’une ville ou d’une municipalité particulière, le Nord serait également touché par le problème. Il est possible de quantifier le degré de vulnérabilité, à travers le taux de violence et de dangerosité que le trafic de drogue provoque dans un contexte donné, ainsi que l’absence ou l’insuffisance de structures sociales et sanitaires adéquates et de médicaments pour lutter contre la toxicomanie. Le rôle des plateformes numériques, qui ont complètement révolutionné le marché des drogues illicites, surtout depuis les années 2000, a été déterminant. Des médias sociaux au dark web, il existe aujourd’hui de nombreux moyens de répondre à la demande constante de substances. Internet a permis de raccourcir la chaîne d’approvisionnement, abaissant ainsi le coût de la marchandise vendue et, par relation inverse, augmentant son accessibilité. Et bien que le bilan des 100 dernières années en matière de consommation de drogues soit positif, la consommation de substances illicites persiste et, en effet, les dix dernières années ont vu une augmentation – également due à la croissance de la population – de la consommation de substances. Concrètement, voici quelques chiffres qui donnent une vision assez explicative du phénomène : l’UNODOC estime qu’en 2021, 1 personne sur 17 – de 15 à 64 ans – consommera de la drogue, soit 23% de plus que dix ans auparavant – probablement aussi en raison de l’urgence sanitaire de la Covid-19 et de toutes ses implications. Une autre statistique alarmante concerne notamment la consommation d’opiacés et d’opioïdes, qui a augmenté de façon spectaculaire : selon les estimations de l’UNODOC, 60 millions de personnes utilisent cette substance à des fins non médicales, dont plus de la moitié consomment des opiacés. Les utilisateurs les plus fréquents seraient les hommes, tant pour les opiacés que pour la cocaïne, le cannabis, les amphétamines et les opioïdes. Ces derniers seraient d’ailleurs à l’origine de la plupart des décès par overdose.

Dans tout cela, comme mentionné précédemment, le marché noir, incarné par les mafias, jouerait désormais un rôle central dans le trafic de substances illicites, avec des impacts désastreux sur les individus et l’environnement : de la violence persistante, des agressions et des violences sexuelles, à la corruption, aux meurtres et à la déforestation massive, ce ne sont là que quelques-unes des conséquences tragiques du commerce illégal de drogues. Le phénomène s’observe notamment en Amazonie, où les plus vulnérables aux problèmes posés par les organisations criminelles seraient les populations indigènes, sujettes aux déplacements forcés, à l’empoisonnement au mercure et à l’exposition à la violence. En d’autres termes, selon le rapport, le marché noir de la drogue augmenterait aujourd’hui d’autres activités illicites, qui violent les droits de l’homme et portent atteinte à l’environnement. Et la taille du marché noir n’a fait qu’augmenter : en particulier, la demande et l’offre de cocaïne ont augmenté entre 2020 et 2021 et, pour répondre à la demande accrue, les organisations criminelles ont mis en place un réseau dense, caractérisé par la spécialisation, la concurrence, mais aussi la collaboration – les cas de l’Europe occidentale et centrale et des Amériques sont exemplaires. Par ailleurs, la culture de l’opium a considérablement augmenté en 2022, année où la production de cette substance en Afghanistan a dépassé les 6 000 tonnes, ce qui correspond à environ 80 % de la production mondiale.

Le cas emblématique de la consommation d’opioïdes concerne toutefois l’Amérique du Nord : la crise serait principalement due à l’augmentation du nombre annuel de décès par overdose causés par le fentanyl – un opioïde synthétique normalement utilisé en médecine comme analgésique – qui est devenu une source de débat au niveau national et mondial au cours des dernières années. La plupart des composants de cette substance proviennent de Chine – et sont ensuite vendus par les cartels mexicains – ce qui a été une source de tension entre Washington et Pékin, avec des conséquences sur les relations entre les deux pays. En janvier dernier, les deux pays se sont rencontrés pour discuter de la situation. Xi Jinping a accepté de coopérer pour freiner le trafic de l’opioïde synthétique. Un premier pas vers ce qui semblait être des tensions insurmontables entre la Chine et les Etats-Unis, après que Pékin ait suspendu la coopération dans de multiples domaines avec Washington en 2022, suite à une visite à Taïwan de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi. Ces dernières semaines, cependant, les relations semblent toujours gelées entre les deux pays : après que la commission américaine a accusé la Chine de subventionner la crise du fentanyl aux États-Unis, la République populaire de Chine a, pour sa part, rejeté ces accusations.

Actuellement, la recherche de législations, de contrôles et de réglementations susceptibles d’inhiber et de contenir la croissance de l’industrie des drogues illicites se poursuit. La lutte contre la drogue et ses industries est un défi perpétuel, qui dure depuis plus de cent ans, avec un bilan positif, selon les rapports de l’ONU, par rapport au siècle dernier, avec toutefois une augmentation significative de la taille du marché noir de la drogue au cours des dix dernières années. Éradiquer complètement une industrie capable d’une telle résilience est probablement impossible. Essayer, en continuant à investir dans la prévention et dans des structures sociales et sanitaires adéquates, est au contraire une nécessité.

Sources : 

Image : Wikimedia

https://win.storiain.net/arret/num203/artic2.asp

https://www.cato.org/cato-handbook-policymakers/cato-handbook-policymakers-9th-edition-2022/international-war-drugs

Un viaggio nella Storia delle droghe: dall’antichità ai giorni nostri

La storia delle dipendenze: un viaggio per conoscere le sostanze d’abuso

https://books.openedition.org/pur/5636?lang=it

https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/100_Years_of_Drug_Control.pdf

https://en.wikipedia.org/wiki/American_Mafia#

https://en.wikipedia.org/wiki/War_on_drugs

https://www.treccani.it/enciclopedia/sessantotto_%28Enciclopedia-dei-ragazzi%29/

https://doc.studenti.it/vedi_tutto/index.php?h=af0118f7&pag=1

https://www.unodc.org/res/WDR-2023/WDR23_Exsum_fin_SP.pdf

https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/drugs/buyers/socialhistory.html

https://www.theguardian.com/world/2024/jan/30/china-us-officials-fentanyl-talks

https://www.reuters.com/world/us/us-committee-finds-china-is-subsidizing-american-fentanyl-crisis-2024-04-16/

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