Jeudi 23 novembre, le département Workshop organisait son premier événement du semestre, axé sur les enjeux stratégiques en temps de guerre. À travers le conflit en Afghanistan, introduit dans un premier temps selon une perspective historique par le spécialiste de négociations internationales Saber Azam, les participants ont pu s’immerger dans les aspects stratégiques d’une lutte armée. Le Centre d’Histoire et de Prospective Militaire nous en a également fourni l’occasion à travers une présentation stratégique de son directeur scientifique Alexandre Vautravers, puis par le biais d’une simulation conflictuelle animée par deux intervenants, Nicolas Penseyres et Matthieu Karrer.
Saber Azam, ingénieur de formation diplômé à l’EPFL et docteur en technologie nucléaire, est un ancien diplomate professionnel reconverti en écrivain. Il a servi en tant que chef des opérations de maintien de la paix au Kosovo et a représenté pendant des années l’UNHCR dans de nombreux pays – le dernier en date étant le Rwanda. Président pendant plus de dix ans du « Comité Afghan d’Aide Humanitaire » basé à Genève, il offre dans ses articles une perspective critique sur la gestion Occidentale du conflit afghan ainsi que de son retrait.
Un peu d’histoire…
L’ancien fonctionnaire de l’ONU aborde le sujet par une brève description topographique du territoire afghan, dont il souligne la nature montagneuse et la rareté des ressources hydriques – un enjeu stratégique important. Il ne manque également pas de souligner la nature tribale du pays pour en esquisser oralement une ébauche de carte démographique – Hazaras et Pashtounes au sud, Turkmènes à l’est, Tadjiks au nord…
Viennent ensuite 4000 ans d’histoire résumés en une petite heure. L’hégémonie sassanide, l’influence de l’empire Maurya, l’invasion d’Alexandre le Grand et l’expansion de la civilisation gréco-bactriane. M. Azam récapitule pour nous les principales étapes de l’histoire antique et médiévale afghane, et souligne son statut de carrefour commercial eurasiatique avec l’émergence de la route de la soie, qui relie l’extrême orient à Constantinople en passant par exemple par Samarcande, Kaboul ou Balkh. Un bel aperçu de l’importance géopolitique du territoire.
Il décrit la montée des Durrani, contemporains à l’arrivée des Britanniques dans le sous-continent indien au XVIII, et l’ingérence rampante de la Grande-Bretagne dans la politique intérieure de la dynastie. Le versement de salaires aux souverains locaux, la reconnaissance de leur suprématie ethnique s’inscrivent dans une volonté d’influence sur le territoire face à la Russie.
Le récit de notre intervenant se clôture par la mise en perspective des influences soviétiques puis américaines. M. Azam raconte l’entrée du pays dans une guerre civile destinée à s’éterniser. Il s’attarde notamment sur la catastrophique gestion du conflit, de l’empêtrement des Américains et des tentatives de retrait du pays dès 2010 avec Obama. Autant d’épisodes capitaux pour saisir les dynamiques géopolitiques qui ont secouées l’Afghanistan au cours de ces dernières années.
…et de stratégie militaire !
La présentation du diplomate laisse place à l’intervention du directeur scientifique du Centre d’Histoire et de Prospective Militaire (CHPM) Alexandre Vautravers, également rédacteur en chef de la Revue militaire suisse. Son exposé se focalise sur les enjeux militaires et techniques de la guerre en Afghanistan. Il présente aux participants les aspects militaires de l’invasion soviétique en Afghanistan de 1979, opération éclair qui a vu la mobilisation de parachutistes puis de blindés dans l’urgence de défendre le régime communiste chancelant.
Pour ce qui est de l’opération Enduring Freedom en réponse au 9/11, le professeur décrit le déploiement tout aussi rapide des forces aériennes américaines. Le secrétaire de la défense Rumsfeld aurait opté durant cette guerre pour une mobilisation de seulement une soixantaine de milliers de soldats, privilégiant les opérations aériennes. Cette approche est cohérente avec la Network Centric Warfare de l’ISAF mise en place dès 2005, qui privilégie une coordination entre forces armées des divers pays de l’OTAN plutôt qu’une mobilisation d’ampleur.
Mise en pratique
Enfin, l’activité du workshop nous a été présentée par Nicolas Penseyres et Matthieu Karrer, deux intervenants de Swiss Wargaming, une initiative lancée récemment par le CHPM qui vise à compléter la théorie militaire par la pratique. L’activité consistait dans une simulation de conflit, où les joueurs sont amenés à prendre des décisions dans un environnement donné et dont les choix génèrent un récit à travers leurs conséquences.
Sous le format de jeux de tables, deux simulations ont été présentées. Dans les deux cas était représenté un district afghan et, à travers un jeu de rôle, les joueurs ont dû simuler les comportements des différentes parties prenantes qu’ils incarnaient. Une des simulations représentait une ville hypothétique dans laquelle une force armée étrangère aurait été déployée dans la ville, alors que la seconde mettait en place un scénario d’insurrection urbaine contre une force étrangère établie. Ces deux activités, par leurs aspects dynamiques et réalistes, ont permis aux participants de se figurer l’importance de la prise de décision dans un contexte de stratégies conflictuelles et de leurs conséquences. Elles ont également mis en lumière la corrélation entre chaque décision et l’influence que chacune d’entre elles peut avoir sur les autres parties prenantes.
Aux vues de cette expérience à la fois instructive et ludique, nous tenons à remercier le département Workshop pour son travail d’organisation. Nos remerciements vont également à nos intervenants, M.Saber Azam, M. Alexandre Vautravers et MM. Nicolas Penseyres et Matthieu Karrer, ainsi qu’au Centre d’Histoire et de Prospective Militaire.