Semaine de la diplomatie : 24 - 28 avril 2023. Pour consulter le programme, cliquez ici : link

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Nous, pratiquants, étudiants, passionnés de la diplomatie sommes les légataires de deux conférences tenues à La Haye au début du 20ème siècle, et également de la vision pacifiste à l’époque d’un homme, le Tsar Nicolas II. Lesdites conférences qui accoucheront de réglementations du Jus In Bello, de l’établissement d’une juridiction internationale d’arbitrage, d’une pratique de la diplomatie multilatérale toujours d’actualité et de l’impressionnant Palais de la Paix, ont eu une efficacité limitée à court terme, mais un écho considérable sur leur siècle et le suivant. 

Marcher dans les dédales du Palais de la Paix ne laisse pas indifférent. L’imposant bâtiment situé à La Haye, d’architecture baroque, abrite en son sein la Cour Internationale de Justice, la Cour Permanente d’Arbitrage et la Bibliothèque du Palais. Inauguré en 1913, le Palais est garni d’objets d’art tous plus grandioses les uns que les autres. La décoration fait preuve d’une telle opulence, d’une telle richesse dans la quantité d’œuvres s’y trouvant, qu’il est aisé de ne pas en remarquer certaines. Cependant, il y a une œuvre immanquable. Un vase de trois tonnes fait de jaspe, aux subtiles nuances de vert, d’ocre et de blanc. Ce vase fut offert par la Russie Tsariste, symbole de son attachement à ce que le Palais représentait, à savoir l’établissement d’un système diplomatique et juridique international pour garantir la paix. En effet, la construction du Palais fut décidée à la suite de la première conférence de La Haye sur la Paix en 1899, et celui-ci fut censé héberger une Cour permanente d’arbitrage, envisagée à la suite de cette dite première conférence. Première conférence car une seconde suivra en 1907, réunissant davantage de nations et allant plus loin dans l’établissement des bases de ce qui sera un ordre juridique international dont la Ligue des Nations et ensuite le système des Nations Unies seront les héritiers. Le fait que l’une des œuvres d’art les plus monumentales du Palais ait été offerte par la Russie n’est pas une surprise. On doit la tenue de ces conférences au Tsar Nicolas II qui en prit l’initiative et en proposa l’idée aux élites de cette fin de 19ème siècle. Voyons donc pourquoi la Russie Tsariste fut à l’origine d’une ébauche de système de diplomatie multilatérale et de juridicisation des rapports entre Etats dont les échos nous parviennent encore plus de 120 ans plus tard. 

Un Tsar humaniste et pacifiste, ou pragmatique et calculateur ? 

Le 28 août 1898, le compte Mikhail Muraviev, ministre des affaires étrangères Russe, fit parvenir aux ambassades des différentes nations situées à St Pétersbourg le « Rescrit pour la Paix » de son Tsar, Nicolas II. Ce document mettait en avant la nécessité pour les sociétés civilisées de réduire les courses aux armements et de chercher des moyens de réduire les calamités qui pèsent sur le monde, il insista également fortement sur la nécessité de maintenir un état de paix général. Enfin, ce rescrit contenait l’appel à l’établissement d’une conférence sur l’Arbitrage et le désarmement. Au vu de la situation historique, il n’est pas étonnant que ce soit le Tsar qui ait pris l’initiative d’une telle conférence pour la paix. Les relations entre nations européennes à cette époque étaient extrêmement tendues, et la Russie n’était en aucun cas en position de rivaliser avec ses voisins européens. Souffrant d’un retard industriel (qu’elle était en train de rattraper) et ayant subi une importante défaite durant la guerre de Crimée, la Russie tsariste avait tout à perdre si un conflit d’ampleur se déclenchait dans cette Europe globalement plus armée et industrialisée. D’ailleurs, même en dehors de l’Europe la Russie était en confrontation avec d’autres nations. Le Japon fut un ennemi redoutable durant la guerre Russo-Japonaise de 1904-1905, qui s’acheva d’ailleurs par une défaite de la Russie. Cette image d’une Russie faible était assez populaire comme l’illustre les écrits de Robert F Raymond, en 1911 dans le journal américain « The adovcate of peace » à propos de cette proposition du Tsar d’organiser une conférence pour la paix : « The world had regarded the whole project as a manifestation of the harmless idiosyncrasy of the weak ruler of a semi-civilized people. » Le gouvernement du Tsar pouvait donc aisément tirer profit d’un système diplomatique multilatéral qui préviendrait les conflits armés et faciliterait l’industrialisation et la modernisation de la Russie sans avoir à craindre les affres d’une guerre avec un voisin trop avancé militairement. 

Cependant, cette explication n’est pas la seule ayant motivé le Tsar à convoquer ces conférences. Nicolas II était habité d’idées pacifistes, il lisait les œuvres de Tolstoï, grand pacifique du 19ème/20ème siècle, fut inspiré par le livre de Bertha Von Suttner « Lay down your arms ! », détentrice du Nobel de la Paix en 1905, et fut impressionné par l’ouvrage d’un banquier de Varsovie, Ivan Bloch, qui considéra en 1897 que la guerre dans ce monde moderne n’était plus possible pour résoudre les disputes internationales. Dans cet axiome de Bloch on retrouve l’idée qui peut avoir induit la volonté du Tsar à mettre en place un système d’arbitrage des contentieux internationaux. Même si cet appel à une conférence pour la paix fut vu par certains cyniques pragmatiques comme une tentative pour une nation faible d’éviter d’affronter plus fort qu’elle, le Tsar fut perçu comme un apôtre de la paix parmi des leaders européens belliqueux. C’est en tout cas ce que nous explique John Mack dans son article « Nicholas II and the « Rescript for peace » of 1898: apostle of peace or shrewd politician? » publié en 2004. Mack présente la couverture journalistique des réactions qu’eu son rescrit dans des journaux belges, allemands et anglais, et met en lumière l’encensement que reçut le Tsar et l’espoir que la conférence représente pour la paix dans le monde. Il perdra cette aura entre les deux conférences du fait de la répression de la Révolution de 1905 et de la guerre contre le Japon.

Les legs de la conférence, un écho toujours audible dans nos institutions internationales

Comme nous le savons, le 20e siècle a été marqué par deux conflits des plus brutaux que connut l’Humanité. Le vœu pieu du Tsar ne se concrétisa malheureusement pas à la suite des conférences de 1899 et de 1907. Cependant, leur héritage n’est pas à écarter. Elles posèrent des bases qui seront utilisées plus tard. L’acte final de la conférence de 1899, synthétisant les travaux des différentes commissions, nous indique que trois conventions furent prises, ainsi que trois déclarations. Ces conventions sont : la Convention pour le Règlement Pacifique des Conflits Internationaux, la Convention concernant la guerre sur terre et la Convention pour l’adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève du 22 août 1864. Dans les déclarations, on retrouve des interdictions de certaines armes tel que le lancement de projectiles depuis des ballons volants, les armes asphyxiantes ou les gaz et l’usage de munitions se fragmentant dans le corps. On voit donc un commencement de régulation sur le Jus in Bello, et cela avec l’accord des puissances militaires fortes de l’époque. Malgré tout, aucun texte concret ne fut pris concernant les courses aux armements, seulement quelques évasives déclarations d’intentions. La conférence de 1907 apporta quelques modifications et approfondissements substantiels, notamment sur des matières techniques de la guerre navale, mais ne fit concrètement qu’acter les conventions prises en 1899 et augmenta leurs nombres de signataires. 

Mais au-delà des conventions et des régulations de la guerre, les conférences tentèrent d’attaquer l’origine des conflits en imposant un mécanisme de règlement pacifique des différends internationaux par l’arbitrage. Dans la convention éponyme de 1899, il est fortement mis en avant la nécessité des bons offices et de la médiation par des États tiers. L’innovation tient dans l’article 20 de cette Convention, établissant la Cour Permanente d’Arbitrage, siégeant actuellement dans les murs du Palais de la Paix. La conférence de 1907 tentera de créer une Cour internationale de Justice, ayant plus de pouvoir sur les Etats dans la résolution des conflits, mais les participants à la conférence ne purent se mettre d’accord sur les modalités de nomination des juges, et préférèrent renforcer la Convention de 1899 en y intégrant plus d’Etats parties. 

Ces conférences furent le prélude aux grandes institutions multilatérales qui se développeront au 20e siècle. La conférence de 1899 dura 72 jours et réunit 26 Etats, la plupart européens, alors que celle de 1907 réunit 43 nations et s’étala sur 140 jours. Cette dernière était bien moins eurocentrée et fit entrer les nations d’Amérique Latine dans ce nouveau jeu diplomatique. De telles réunions, faisant travailler de concert des diplomates du monde entier sur divers sujets, conventions et déclarations dans des comités dédiés sont un écho lointain qui inspirèrent l’institutionnalisation d’organisations internationales modernes, avec en tête les Nations Unies. Andrew Carnegie, magnat de l’acier et philanthrope ayant financé la construction du Palais, souhaitait créer un temple de la Paix. Malheureusement son œuvre s’acheva quand de sombres années commencèrent en Europe, avec le début de la Première Guerre mondiale onze mois après l’inauguration du Palais. Mais l’héritage de ces conférences résistèrent malgré les guerres que connurent le continent, et le Palais, magnifique, trône encore à La Haye avec des institutions en son sein plus importantes qu’elles ne le furent jamais. 

 

 

Bibliographie :

Amos S. Hershey. Convention for the Peaceful Adjustment of International Differences. The American Journal of International Law, 1908. Internet Archive, http://archive.org/details/jstor-2186557.

Bertha von Suttner | Peace Palace. https://www.vredespaleis.nl/peace-palace/from-the-archives/bertha-von-suttner/?lang=en. Consulté le 8 octobre 2022.

History | Peace Palace. https://www.vredespaleis.nl/peace-palace/history/?lang=en. Consulté le 28 septembre 2022.

MACK, JOHN. « NICHOLAS II AND THE “RESCRIPT FOR PEACE” OF 1898: APOSTLE OF PEACE OR SHREWD POLITICIAN? » Russian History, vol. 31, no 1/2, 2004, p. 83‑103.

RAYMOND, ROBERT F. « Hague Conferences and World Peace ». The Advocate of Peace (1894-1920), vol. 73, no 4, 1911, p. 83‑87.

Simpson, Gerry. Great Powers and Outlaw States: Unequal Sovereigns in the International Legal Order. 1re éd., Cambridge University Press, 2004. DOI.org (Crossref), https://doi.org/10.1017/CBO9780511494185.

Treaties, States parties, and Commentaries – Final Act of the Hague Peace Conference, 1899 – Final Act -.https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=8FCF14D950797012C12563CD00515C0A. Consulté le 28 septembre 2022.

 

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