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À quelques semaines des élections du 6 juin, l’effondrement des Verts dans les sondages ainsi que le glissement à droite du PPE font trembler l’agenda environnemental. Des manifestations agricoles à la folie des grandeurs de l’euro-populaire Manfred Weber, en passant par les récentes concessions en matière climatique du Parlement européen, le Pacte Vert pour la neutralité carbone semble sur le point de s’écrouler comme un château de cartes.

Il y a déjà cinq ans, au plus fort du succès des partis Verts et des Fridays for Future, Ursula von der Leyen arrivait à la tête de la Commission européenne et nommait le Néerlandais Frans Timmermans au poste de commissaire à l’action pour le climat. Sous sa présidence, le Green Deal a été l’instrument de l’Union Européenne voué à la promotion, par la conditionnalité des aides financières, de l’adoption de législations nationales conformes aux exigences de neutralité climatique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et bien qu’Ursula von der Leyen, candidate de la CDU allemande, soit actuellement la favorite du Parti populaire européen (PPE) pour une éventuelle réélection à la tête de la Commission, les intérêts agricoles et industriels des élites économiques régionales et les frictions au sein du PPE lui-même pourraient mettre le Green Deal à l’épreuve.

Une opposition paysanne

La Lega, parti de droite souverainiste italienne, avait fait allusion à une « fin de l’ère du Green Deal » après le rejet du projet initial de loi sur la restauration de la nature, écartée en juin de l’année passée par une coalition entre les Conservateurs et le PPE au parlement européen. Et bien que la législation en question ait ensuite été révisée à la baisse et finalement adoptée, le redimensionnement des ambitions écologiques européennes s’est confirmé dans les mois qui ont suivi. La directive sur la réduction des pesticides, par exemple, relative à la stratégie « farm to fork » pour une production alimentaire plus verte, a été retirée en février par la Commission européenne à la suite d’un intense lobbying agricole. L’abandon de la loi a été suivi, pour la même raison, par une révision de la directive sur les émissions industrielles, à la suite de laquelle les bovins ont été exclus des restrictions relatives à l’agriculture intensive.

Que l’on parle de réglementations concernant l’utilisation de pesticides, d’élevage intensif, de restauration de la nature ou encore d’extension des cultures biologiques, la pression des milieux paysans est devenue particulièrement forte depuis l’approbation de la nouvelle Politique Agricole Commune, entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Le système des Éco Régimes en particulier, au nom duquel 25% des paiements directs reçus par les agriculteurs sous forme de subventions doivent être dédiés au GD

Les manifestations paysannes, qui ont conduit dans le cas polonais à la grève générale de février dernier, ont porté comme revendication centrale la priorisation de la souveraineté alimentaire face à la transition écologique. Les restrictions à l’agriculture intensive et les incitations à la production biologique issues du Green Deal, ne garantiraient en effet pas de rendement agricole suffisant pour répondre à la demande européenne, exposant le marché communautaire à la concurrence des produits de pays tiers – pays d’ailleurs dont les méthodes, en termes d’agriculture et d’élevage, sont loin d’être durables.

Dans le collimateur des milieux agricoles, à ce sujet, il y a non seulement l’accord de libre-échange avec le Mercosur, bloqué depuis 2019 en raison du veto français, mais, plus important encore, la libéralisation du commerce de blé ukrainien. Initiée en 2022, puis prolongée le 22 mars dernier par le Conseil européen, l’effondrement des prix provoqué par cette libéralisation, combiné à la hausse des coûts de l’énergie issue de la guerre en Ukraine, a porté un sévère coup aux travailleurs agricoles du vieux continent. Pour certains d’entre eux, la précarité résultant de l’exposition à une concurrence agressive, expliquée au moins en partie par une offre régionale insuffisante, les mène à soutenir avec résolution une politique agricole qui ne peut être autre qu’intensive et destinée à atteindre l’autosuffisance.

Allemagne et Italie coordonnées sur le veto

Fleurons de la construction automobile européenne et références historiques de sa manufacture, l’Italie et l’Allemagne ont présenté l’année dernière des positions peu conciliantes en termes de durabilité climatique.

Un bloc d’eurodéputés de la plaine du Pô, territoire phare de la production industrielle et agricole italienne, s’était opposé il y a un an à la révision de la directive sur la qualité de l’air, présentée fin octobre 2022 par la Commission européenne dans le but de fixer des seuils de polluants plus stricts que ceux en vigueur alors. Attilio Fontana, président de la région Lombardie, pour justifier cette obstruction, avait qualifié les mesures du texte de « déraisonnables » : selon lui, elles auraient entraînées la fermeture de trois quarts des activités industrielles et agricoles de la plaine du Pô. En mars 2023, au conseil européen cette fois, les chefs de gouvernement italien et allemand avaient en cette autre occasion fait tomber le règlement relatif à l’interdiction de vente de nouveaux véhicules à essence et diesel dès 2035.

L’axe italo-allemand, mené par les intérêts industriels respectifs de la plaine du Pô et de la Bavière, témoigne d’une articulation intéressante en vue des élections européennes du 6 juin. Articulation qui, d’ailleurs, symbolise parfaitement la rencontre du 5 janvier entre Giorgia Meloni, la Première ministre italienne membre des Conservateurs européens, et Manfred Weber, président du PPE et membre de la CSU bavaroise. Il s’agit, précisons-le, d’une rencontre qui, compte tenu également du récent changement de rhétorique du parti populaire européen et de sa participation au veto de plusieurs politiques liées au Green Deal, laisse présager un futur glissement à droite du plus grand groupe politique du Parlement européen. Weber, prétendant en 2019 à la présidence de la Commission européenne et toujours en rivalité avec Ursula von der Leyen quant à la direction partisane du PPE, montre les muscles à travers ce changement de paradigme et le fait comprendre clairement : c’est lui qui mène le bateau.

Nicolas Schmit, tête de file des socialistes européens, a récemment appelés les représentants du PPE à rester fidèles à leur européisme et à ne pas s’allier à la droite des Conservateurs et d’Identité et Démocratie. La polarisation redoutée des Populaires, dictée en grande partie par l’influence de Weber et de la CSU, a été rendue visible par le nouveau manifeste du parti, approuvé début mars lors du congrès qui s’est tenu à Bucarest. Le programme affirme la nécessité d’un Green Deal sans idéologie, qui puisse assurer la compétitivité des entreprises européennes et protéger le monde entrepreneurial. Il met l’accent sur l’encouragement à l’innovation et sur les incitations au développement de technologies « vertes », rejetant en revanche toute interdiction et réglementations visant à freiner l’activité économique : « Dans l’agriculture et la pêche en particulier, les objectifs devraient être atteints grâce à des innovations technologiques, et non pas des interdictions ».

Perte de compétitivité : mais encore ?

Dans une interview accordée au journal Le Monde le 4 mars dernier, l’ancien expert du Fond Monétaire International, Olivier Blanchard, a appelé les États membres de l’Union européenne à investir davantage dans les politiques climatiques et la défense contre la Russie. Il a souligné l’importance des fonds structurels et l’inadéquation des politiques d’austérité actuelles – définies comme un frein à la croissance de la zone euro. Les critères budgétaires, souligne-t-il, devraient être assouplis afin de permettre une plus grande allocation de capitaux à des secteurs stratégiques, au prix de sacrifier l’exagérée orthodoxie de la dette. Sans cela, le Green Deal serait voué à l’échec.

Le discours de Blanchard soulève une problématique importante, d’ailleurs également présente dans le manifeste du PPE et les revendications des agriculteurs : celle de la compétitivité. Par rapport à d’autres pays, la transition énergétique se fait, en Europe, selon un modèle basé sur des réglementations strictes à l’égard des industries polluantes, plutôt que sur des subventions à grande échelle encourageant l’utilisation de sources et technologies durables. L’Indonésie, qui domine aujourd’hui le marché des terres rares et tout particulièrement les exportations de nickel, dont elle est responsable de plus de la moitié à l’échelle mondiale, ainsi que la Chine, principal producteur de véhicules électriques, ont profondément remodelé ces dernières années leur économie grâce à une politique basée sur d’importantes subventions étatiques. Cette même stratégie a récemment été mise en œuvre aux États-Unis à travers l’Inflation Reduction Act, qui a permis de soutenir par le biais de subventions et de déductions fiscales les entreprises locales impliquées dans la transition énergétique.

La Meyer Berger a récemment fermé l’une des plus grandes usines de production de panneaux solaires en Europe, licenciant 500 personnes, pour délocaliser aux États-Unis où elle bénéficie de bien meilleures conditions financières. Les restrictions et les pénalités imposées par le Green Deal aux industries et aux agriculteurs, comme l’absence de subventions massives en faveur des secteurs clés de la transition énergétique et climatique, ont provoqué une forte perte de compétitivité au sein de l’économie européenne (et en corollaire, une invasion par exemple de voitures électriques et de panneaux solaires chinois sur le vieux continent).

L’opposition actuelle aux mesures du Green Deal est expliquée, du moins en partie, par les implications en termes de gains et de pertes pour les principaux secteurs économiques du continent. Mais une politique de subventions comme celle mise en oeuvre aux États-Unis pourrait-elle aider à la résoudre ?

Il est difficile de répondre. Certainement, la rigueur allemande, vouée à un contrôle strict de la dette et à une austérité rigoureuse rend cette solution peu réaliste. D’autre part, le complexe système décisionnel de l’Union européenne pourrait quant à lui faciliter la poursuite de mesures impopulaires, telles que les actuelles politiques du Green Deal, puisque les électeurs ont du mal à peser réellement dans les décisions européennes. Mais si la perspective d’un Pacte Vert qui puisse se prêter aux besoins de chacun semble encore une option reculée, seul le temps saura estimer sa durabilité.

Article également publié en italien sur Eurobull.it

Sources : 

Images : Canva Pro

https://www.ilpost.it/2023/03/07/divieto-auto-benzina-rinviato/

https://it.euronews.com/green/2024/02/06/la-commissione-europea-ritira-la-legge-sui-pesticidi

https://it.euronews.com/green/2024/02/06/la-commissione-europea-ritira-la-legge-sui-pesticidi

https://www.ansa.it/sito/notizie/economia/2024/03/12/ok-finale-del-pe-alla-stretta-sulle-emissioni-industriali_d64677ec-c4cc-4666-b04b-572e81ba5ea8.html

https://www.ilfattoquotidiano.it/2024/03/12/mentre-lue-rinnega-il-green-deal-lagenzia-europea-dellambiente-certifica-il-disastro-qui-la-temperatura-cresce-piu-che-nel-resto-del-mondo-ora-politiche-forti/7476270/

https://fr.euronews.com/my-europe/2024/03/02/nicolas-schmit-candidat-socialiste-a-la-presidence-de-la-commission-europeenne

https://www.ilfattoquotidiano.it/2024/03/06/da-rivoluzione-il-green-deal-diventa-ideologia-il-programma-ppe-sconfessa-5-anni-di-von-der-leyen-migranti-modello-uk-rwanda/7470156/amp/

https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/03/04/olivier-blanchard-il-faut-etre-pret-a-soutenir-encore-l-economie_6219898_3234.html

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