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DIPLOMATIE ETATS-UNIENNE
La présidence du 45e Président des Etats-Unis a beau s’achever dans la confusion, l’administration Trump a néanmoins joué un rôle clé au Moyen-Orient ces derniers mois en facilitant les négociations entre Israël et plusieurs pays du monde Arabe. Bilan de ces tractations diplomatiques au crépuscule d’une présidence.
L’assaut du capitole par des supporters de Donald Trump alors que l’élection de Joe Biden était en cours de validation par les grands électeurs aura provoqué une onde de choc non seulement dans l’ensemble des Etats-Unis, mais également à travers le monde, de nombreux dirigeants et responsables condamnant les évènements et le rôle joué dans ceux-ci par le président sortant.
S’il ne fait pas de doute que ce coup de force manqué risque de rester dans l’héritage de la présidence du républicain, il convient de noter, que sur le plan de la politique étrangère, l’administration Trump eu une grande activité diplomatique dans le région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) depuis le mois d’août, dont l’impact et les possibles conséquences seront durables et méritent d’être relayées.
Donald Trump n’a pas attendu la fin de son mandat pour s’intéresser à la région, qui est d’une importance capitale pour toutes les administrations américaines depuis la fin de la seconde guerre mondiale, même si sa stratégie – où son absence de stratégie – a surpris plus d’un expert. Il y a eu tout d’abord le bombardement de la base aérienne Syrienne d’Al-Chaayrate dans la nuit du 6 au 7 avril 2017, qui a toutefois été suivie d’un retrait des troupes sur le terrain, les Etats-Unis laissant même l’initiative à la Russie en Syrie. Selon Rüdiger Lentz, directeur exécutif de la filiale allemande de l’Aspen Institute, un think-tank américain, « le retrait Etats-unien a aidé la Russie à se placer dans une position hégémonique dans la région ».
La marque de l’administration Trump sur la région s’est en revanche faite sentir en 2017 par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, un fait qui est contesté par la plupart des pays, qui ont leurs ambassades à Tel-Aviv.
Il y a ensuite eu l’omniprésente question Iranienne, priorité du Président et surtout de son ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, notamment illustré par le retrait états-unien de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018 et l’élimination du Général Iranien Soleimani il y a une année.
Il convient aussi de mentionner le plan de paix de Donald Trump, présenté par son beau-fils et conseiller Jared Kushner en janvier 2020, pour régler le conflit Israélo-Palestinien. Ce plan prévoyait notamment une solution à deux états avec un tunnel routier pour relier la bande de Gaza à la Cisjordanie, mais donnait Jérusalem dans son entièreté à Israël et officialisait nombre de colonies de l’état hébreux, cela à l’encontre du droit international. Si le Premier-Ministre Israélien Benjamin Netanyahou a accueilli favorablement la proposition, la surnommant « l’accord du siècle », elle a été décriée par les palestiniens – le Président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas la qualifiant de « gifle du siècle » – ainsi que par une grande partie communauté internationale pour ce que de nombreux observateurs ont qualifié de « manque d’impartialité. »
La fin de la politique des « trois non »
Si ce « Plan Trump » n’a pas été couronné de succès, l’administration du président républicain aura tout de même laissé une marque durable sur les rapports diplomatiques dans la région. En effet, depuis le mois de septembre une série de pays du monde arabe ont établi des relations diplomatiques avec Tel-Aviv, rompant ainsi avec la « politique des trois non » (« pas de paix avec Israël, pas de négociations avec Israël, pas de reconnaissance d’Israël et ‘le maintien des droits du peuple palestinien dans sa nation’ ») qui était, avec les exceptions égyptienne et jordanienne, celle des pays de la région depuis le sommet de Khartoum en 1967.
Ainsi, le 15 septembre le Bahrein et les Emirats Arabes Unis ont officiellement reconnu l’Etat Hébreu, en signant avec Israël les « Accords d’Abraham » normalisant leurs relations lors d’une cérémonie organisée à la Maison Blanche. Le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin a déclaré notamment que ces accords représentaient une grande « opportunité pour les économies des pays concernés, notamment dans le domaine des technologies. »
Si des incitations économiques ont eu leur effet sur Manama et Abu Dhabi à l’heure de normaliser les relations avec Israël, en plus du contexte géopolitique de défiance vis-à-vis de l’adversaire commun pour ces pays qu’est l’Iran, les leviers diplomatiques de Washington ont été d’autant plus forts sur des pays aux économies plus modestes que les monarchies du Golfe, comme le Soudan et le Maroc.
Jamais deux sans quatre
Pour le Soudan, c’est tout d’abord en octobre que Donald Trump annonçait depuis l’Oval Office, entouré de ses ministres, que le pays africain allait normaliser ses rapports avec Israël. En guise d’incitation pour Khartoum, Washington a promis, en échange de cette reconnaissance, de retirer le Soudan de sa liste noire des pays sponsors du terrorisme – ce qui fut chose faite en décembre – ainsi que de faciliter 1 milliard de dollars américains d’aides annuelles à travers la banque mondiale. Trump tweetait dans la foulée que cet accord était une «énorme victoire pour les États-Unis et pour la paix dans le monde», et que « d’autres suivront! »
Ces promesses ont été mises sur papier lors de l’accession officielle du Soudan aux « Accords d’Abraham » lors de la visite de Mnuchin à Khartoum le 6 janvier 2021.
Cette troisième normalisation fut suivie par celle du Maroc, annoncée par le Maison Blanche le 10 décembre 2020, et matérialisée le 22 décembre par la signature d’une déclaration commune entre Tel-Aviv et Rabat. Dans le cas du Maroc, la « transaction » effectuée concernait la reconnaissance par Washington de la souveraineté de Rabat sur le Sahara Occidental, objectif diplomatique capital pour le Royaume Chérifien, en échange de l’établissement des relations diplomatiques entre ce dernier et l’Etat Hébreu.
Cette dernière normalisation a été suivie d’un certain nombre de commentaires de responsables mondiaux, notamment en lien avec la reconnaissance de la souveraineté de Rabat sur le Sahara Occidental, ancienne colonie espagnole qui revendique son indépendance depuis plus de quatre décennies. Ainsi, si le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a « salué l’accord », il a néanmoins réservé son jugement concernant le Sahara Occidental. De son côté, la ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha González Laya, a déclaré que « le pays se félicitait de la normalisation des relations », mais rejetait la reconnaissance par les États-Unis de la revendication du Maroc sur son ancienne colonie. Même son de cloche du côté de Moscou qui, tout en saluant l’accord entre Israël et le Maroc, condamnait la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le territoire sahraoui, affirmant même que « cela enfreignait le droit international ».
Quel héritage ?
Il y a en revanche un rétablissement des relations avec Israël qui ne sera pas arrivé à temps pour la présidence Trump, et qui aurait été un coup diplomatique retentissant: celle de l’Arabie Saoudite. La Monarchie Wahabbite était pourtant un objectif de choix, comme l’affirmait le Sécretaire d’état Mike Pompeo en octobre dernier: « Nous espérons que l’Arabie saoudite envisagera également de normaliser ses relations, et nous voulons les remercier pour l’aide qu’ils ont apportée jusqu’à présent dans le succès des accords d’Abraham », soulignant au passage la contribution de Riyadh dans le succès de ces négociations.
Quoi qu’il en soit, ces récents accords placent Israël dans une position privilégiée en ce qui concerne le contexte géopolitique régional, et il reste à voir si l’administration Biden continuera sur cette lancée, même si le contraire serait étonnant, compte tenu de l’importance bi-partisane qu’ont les relations avec Israël dans la politique américaine.
Concernant l’héritage de Trump au Moyen-Orient, au-delà des « Accords d’Abraham », la seule certitude est que les experts en la matière ne tomberont pas d’accord. Entre ceux, comme Steven A. Cook – éditorialiste pour le magazine de diplomatie Foreign Policy – qui considèrent que la stratégie du président sortant était « incohérente » et le considèrent responsable d’une perte d’influence de Washington dans la région, et d’autres, qui saluent la capacité du locataire de la maison blanche à « conclure des accords » et notent au passage qu’il soit un des rares présidents américains à ne pas avoir lancé de guerres dans la région, le débat est au rendez-vous.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et n’engagent pas la Swiss Diplomacy Student Association.